Focus : l'apprentissage par imitation

Le cas de l'apprentissage vocal (le langage chez l'humain, le chant chez l'oiseau-chanteur)

L’apprentissage par imitation concerne beaucoup d’espèces animales, tant les humains, que les primates et même les oiseaux. En effet, l’imitation facilite la transmission et l’apprentissage d’une culture (humaine ou non), notamment par la diffusion de techniques et savoirs-faire. Il est possible d’en distinguer deux types, notamment car elles sont distinctes sur le plan cognitif (Iacobini, 2009) :
      -       Les mimiques automatiques d’actions déjà maîtrisées (correspondraient à une voie neuronale directe)
      -       Les imitations qui permettent d’apprendre des nouvelles actions (voie indirecte)
L’apprentissage vocal, qu’il s’agisse de la parole pour les humains ou du chant pour les oiseaux-chanteurs par exemple, fait partie des apprentissages par imitation. Grâce aux neurones miroirs, l’action des pairs observée serait encodée dans des représentations motrices (notamment des mouvements des muscles de la bouche de l'interlocuteur). Toutefois, ils ne sont capables d'expliquer que l'imitation automatique, mais ils sont insuffisants pour expliquer l’apprentissage par imitation indirecte qui est un apprentissage plus différé qui requiert du temps. L'apprentissage par imitation indirecte nécessiterait ainsi plus d'étapes et d'actions de la part de l'apprenant entre son observation d'un pair et sa réussite à reproduire l'action.

Chez les oiseaux-chanteurs, chanter comme un adulte s’acquiert ; ce sont des imitations qui passent par la voie indirecte. Les oiseaux-chanteurs sont des oiseaux qui se différencient des autres oiseaux par le fait qu’ils sont capables des sons mélodieux, des « chants », qui sont plus longs et complexes que les cris d’autres oiseaux (qui ramagent, babillent, gazouillent, jabotent, etc.). Cela est dû au fait qu’ils ont un grand contrôle de leur syrinx (similaire au larynx des vertébrés, il se situe au fond de la gorge des oiseaux et leur permet d’émettre des vocalises). Pour ce faire, ils possèdent des structures cérébrales spécifiques, notamment le song nuclei. Trois étapes sont généralement décrites dans l’apprentissage vocal par imitation chez les oiseaux-chanteurs (Figure 1) :  
      -       La phase de mémorisation (ou sensory period)
      -       La phase sensorimotrice et le feedback auditif 
      -       La cristallisation : quand les circuits moteurs du chant deviennent « stabilisés », ils deviennent immuables

Figure 1 - Les trois phases usuellement décrites pour l'apprentissage sensorimoteur
qu'est le chant des oiseaux-chanteurs par imitation


Pour certains auteurs, il existe des modèles de chants pré-existants, innés : des templates (Marler, 1976 ; Slater, 1989). Ces templates ne sont cependant pas suffisants pour que le jeune apprenne à chanter ; l’oiseau juvénile a besoin de les incrémenter par les auditory template, ou le modèle apporté par l’écoute du chant de son tuteur et sa mémorisation (Ikeda et al., 2019). Nous précisons qu’il s’agit d’un tuteur mâle car pour les zebra finches, ou Diamants mandarins, les femelles n’ont pas les prédispositions anatomiques requises pour chanter.  Ainsi, durant la phase de mémorisation, le jeune oiseau doit mémoriser la structure du chant de son tuteur (elle lui servira de modèle dans la production de son chant). De ce fait, cette habileté n’est pas seulement innée ; elle s’acquiert en grande partie par imitation des oiseaux plus âgés par les jeunes. La phase de mémorisation est une période critique pour l’acquisition du chant ; si le jeune oiseau n’a pas pu mémoriser des auditory templates, il ne le pourra plus par la suite. Ikeda et al. (2019), à la suite d’une étude de Zhao et al. (2019), proposent de renommer ces auditory templates « behavioural-goal memory », afin de préciser qu’il est question de la mémoire motrice qui guide l’imitation du chant (orientée vers un but) et de ne pas la confondre avec la mémoire seulement perceptuelle, qui serait aspécifique et stockerait toutes les informations perçues.

Au cours de la phase sensorimotrice, les souvenirs des chants sont utilisés pour la production de chant par le jeune oiseau : ils sont « traduits » en séquences motrices qui vont contrôler le syrinx. Cette phase est appelée sensorimotrice car elle fait référence aux séquences motrices et mobilisations musculaires nécessaires pour émettre un chant complexe. Ce processus est effectué grâce à un feedback auditif : quand le juvénile chante, il compare le résultat de son action (le chant émis) avec le modèle qu’il a en mémoire grâce à la behavioural-goal memory et calcule ses erreurs. Il est donc capable de corriger sa production grâce aux modèles de chant mémorisés. Durant cette phase il va apprendre à reproduire les modèles mémorisés, mobiliser avec précision les muscles nécessaires, et ensuite cristalliser cet apprentissage sensorimoteur. Les circuits moteurs seront tellement renforcés, que les chants deviendront ensuite stéréotypés et ne changeront plus ou très peu durant sa vie (ils seront "cristallisés"), et il aura reproduit avec une grande précision le chant de son tuteur. La mémorisation est très importante pour les jeunes afin d’avoir un modèle de comparaison lors de leurs essais, mais également pour les adultes à la sortie de l’hiver. En effet, n’ayant pas chanté ou entendu leurs chants de l’hiver, c’est grâce aux modèles mémorisés qu’ils sont capables de chanter à nouveau les mêmes chants (Brumm & Hultsch, 2001 ; Margoliash, 2002 ; Marler, 1997). A la manière des jeunes ils vont « réapprendre » leurs chants en faisant des essais et en les comparant à leurs représentations neuronales. En résumé ; les vocalises ainsi que leur perception par le jeune oiseau sont un processus central qui lui permet de convertir les modèles mémorisés en imitations précises durant l’apprentissage sensorimoteur (Brainard & Doupe, 2000).

            Sur un plan neurobiologique, les auditory template, ou behavioural-goal memory, se situeraient, entre autres, dans le NCM (voir Ikeda et al., 2019 pour une revue détaillée) ; circuit spécialisé dans le cortex auditif, il permettrait d’encoder les éléments procéduraux du chant du tuteur et ainsi une représentation première du chant à imiter. Le HVC (Hyperstriatum Ventral, pars Caudalis ou centre vocal supérieur) serait, quant à lui, nécessaire pour l’encodage du chant. Le feedback et l'apprentissage (et de manière générale les imitations qui permettent d’apprendre de nouvelles actions) sont dépendants de plusieurs mécanismes, entre autres des neurones miroirs (chez les humains comme chez les oiseaux). Chez les oiseaux, ces neurones permettraient un retour précis entre les mouvements effectués pour produire un son et le résultat de ces mouvements (le chant). Ces neurones ont été mis en évidence par Keller & Hahnloser (2009) : quand un oiseau chante la même séquence, les mêmes neurones déchargent de la même façon. Cependant, l’activité de ces neurones semble en lien avec la production plus que la perception du chant ; ils pourraient établir, par un mécanisme de "mirroring" une correspondance entre les représentations motrices et sensorielles durant l'apprentissage. Il existe également une théorie chez l’humain où la perception du langage est en grande partie une perception motrice (Liberman et al, 1967 ; Liberman et Mattingly, 1985 ; Liberman et Whalen, 2000). L'apprentissage par renforcement se fait également grâce à plusieurs structures qui codent pour les signaux d'erreur de prédiction de la récompense, ce qui permet permet au juvénile de corriger ses erreur quand il ne produit pas le chant attendu. Cela est permis par des signaux dopaminergiques, notamment émis par les ganglions de la base et la projection de l’Aire X sur la VTA (Aire Tegmentale Ventrale) (Gadagkar et al., 2016). Le cervelet faciliterait, lui, l'apprentissage par implémentation erreur (Albus, 1971 ; Raymond et al., 1996). Il détecterait ainsi le mismatch/ mésappariemment entre la prédiction sensitive du sujet et l'actuel feedback sensitif (Doya, 2000 ; Dreher & Grafman, 2002), il contrôlerait également les mouvements. Pour une circuiterie plus détaillée, voir la Figure 2.

Figure 2 - La circuiterie neuronale de l'apprentissage par imitation du chant chez le Diamant Mandarin
Adaptée de Ikeda et al. (2019) in Current Opinion in Neurobiology, avec les résultats de Pidoux et al. (2018), in eLIFE



Ainsi, si un feedback auditif est nécessaire, cet apprentissage par imitation indirecte est surtout basé sur les mécanismes de l’apprentissage sensorimoteur en général ; soit sur les boucles ganglio-thalamo-corticales et cérébello-thalamo-corticales (Pidoux et al, 2018). Étant des structures anatomiques bien conservées au cours de l'évolution des vertébrés, l'apprentissage du chant chez l'oiseau-chanteur et l'apprentissage de la langue chez les humains montrent ainsi des similarités, et notamment le fait que les processus fonctionnels mis en jeu durant l’imitation soient fortement orientés vers les représentations motrices de l’action à imiter (circuits du cortex prémoteur), et non les représentations visuelles ou les circuits auditifs de la mémoire des chants. C’est pour cela que l’imitation est considérée comme un processus embodied (incorporé, incarné).

Lexique : 


Aire X : Aire située au niveau des ganglions de la base qui est impliquée dans l'apprentissage vocal
Av : nucleus Avalanche
CM : Caudal Mesopallidum
DCN : Deep Cerebellar Nuclei 
DLM : DorsoLateral nucleus of the anterior thalamus (Medial portion)
HVC : Hyperstriatum Ventral, pars Caudalis : centre vocal supérieur (noyau moteur relatif au chant)
lMAN : Lateral Magnocellular nucleus of the Anterior Nidopallidum
NCM : Nidopallidum CaudoMedial
NIf : Nucleus Interface of the nidopallidum
RA : Robust nucleus of the Archeopallidum
Ov : thalamic nucleus Ovoidalis
Uva : nucleus Uvaeformis


Bibliographie :  

Albus JS. (1971). A theory of cerebellar function. Mathematical Biosciences 10, 25–61. 
DOI : https://doi.org/10. 1016/0025-5564(71)90051-4 

Brainard, M.S., Doupe, A.J. (2000). Auditory feedback in learning and maintenance of vocal behaviour. Nature Review of Neurosciences 1, 31–40.
 
Brumm, H., Hultsch, H. (2001). Pattern amplitude is related to pattern imitation during the song development of nightingales. Animal Behaviour 61, 747–754.


Doya K. (2000). Complementary roles of basal ganglia and cerebellum in learning and motor control. Current Opinion in Neurobiology 10, 732–739. 
DOI : https://doi.org/10.1016/S0959-4388(00)00153-7, PMID: 11240282

Dreher JC, Grafman J. (2002). The roles of the cerebellum and basal ganglia in timing and error prediction. European Journal of Neuroscience 16, 1609–1619. 
DOI : https://doi.org/10.1046/j.1460-9568.2002.02212.x, PMID: 12405975

Iacoboni, M. (2009). Neurobiology of imitation. Current Opinion in Neurobiology 19(6), 661‑665. 
DOI : https://doi.org/10.1016/j.conb.2009.09.008
 

Ikeda, M. Z., Trusel, M., & Roberts, T. F. (2019). Memory circuits for vocal imitation. Current Opinion in Neurobiology 60, 37‑46. 
DOI : https://doi.org/10.1016/j.conb.2019.11.002
  
Gadagkar V, Puzerey PA, Chen R, Baird-Daniel E, Farhang AR, Goldberg JH. (2016). Dopamine neurons encode performance error in singing birds. Science 354, 1278–1282. 
DOI : https://doi.org/10.1126/science.aah6837, PMID: 27940871

Keller G.B., Hahnloser R.H. (2009). Neural processing of auditory feedback during vocal practice in a songbird. Nature 457, 187-190.

Liberman A.M., Cooper F.S, Shankweiler D.P, Studdert-Kennedy M. (1967), Perception of the speech code, Psychological Review 74, 431-461.

Liberman A.M., Mattingly I.G. (1985). The motor theory of speech perception revised. Cognition 21, 1-36.

Liberman A.M., Whalen D.H. (2000). On the relation of speech to language. Trends in Cognitive Science 4, 187-196.

Margoliash, D., (2002). Evaluating theories of bird song learning: implications for future directions. Journal of Comparative Physiologie A188, 851–866.
 
Marler, P. (1976). Sensory templates in species-specific behavior. In: Fentress, J.C. (Ed.), Simpler Networks and Behavior. Sinauer Press, Sunderland, MA, 314–329.
 
Marler, P., (1997). Three models of song learning: evidence from behavior. Journal of Neurobiology 33, 501–516.


Pidoux, L., Le Blanc, P., Levenes, C., & Leblois, A. (2018). A subcortical circuit linking the cerebellum to the basal ganglia engaged in vocal learning. ELife 7
DOI : https://doi.org/10.7554/eLife.32167
 
Raymond JL, Lisberger SG, Mauk MD. (1996). The cerebellum: a neuronal learning machine? Science 272, 1126– 1131. 
DOI : https://doi.org/10.1126/science.272.5265.1126, PMID: 8638157 
 
Slater, P.J.B., (1989). Bird song learning: causes and consequences. Ethology Ecology & Evolution. 1, 19–46.
 
Zhao W.,  Garcia-Oscos F., Dinh D., Roberts T.F. (2019). Inception of memorie that guide vocal learning in the songbird. Science 366, 83-89 



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