Focus : l'apprentissage par imitation
Le cas de l'apprentissage vocal (le langage chez l'humain, le chant chez l'oiseau-chanteur)
- Les
mimiques automatiques d’actions déjà maîtrisées (correspondraient à une
voie neuronale directe)
- Les
imitations qui permettent d’apprendre des nouvelles actions (voie
indirecte)

Chez les oiseaux-chanteurs, chanter comme un adulte
s’acquiert ; ce sont des imitations qui passent par la voie indirecte. Les
oiseaux-chanteurs sont des oiseaux qui se différencient des autres oiseaux par le
fait qu’ils sont capables des sons mélodieux, des « chants », qui
sont plus longs et complexes que les cris d’autres oiseaux (qui ramagent, babillent,
gazouillent, jabotent, etc.). Cela est dû au fait qu’ils ont un grand contrôle
de leur syrinx (similaire au larynx des vertébrés, il se situe au fond de la
gorge des oiseaux et leur permet d’émettre des vocalises). Pour ce faire, ils
possèdent des structures cérébrales spécifiques, notamment le song nuclei.
Trois étapes sont généralement décrites dans l’apprentissage vocal par
imitation chez les oiseaux-chanteurs (Figure 1) :
- La phase de
mémorisation (ou sensory period)
- La
phase sensorimotrice et le feedback auditif
- La
cristallisation : quand les circuits moteurs du chant deviennent « stabilisés »,
ils deviennent immuables
Figure 1 - Les trois phases usuellement décrites pour l'apprentissage sensorimoteur qu'est le chant des oiseaux-chanteurs par imitation |
Pour certains auteurs, il existe des modèles de chants pré-existants, innés : des templates (Marler, 1976 ; Slater, 1989). Ces templates ne sont cependant pas suffisants pour que le jeune apprenne à chanter ; l’oiseau juvénile a besoin de les incrémenter par les auditory template, ou le modèle apporté par l’écoute du chant de son tuteur et sa mémorisation (Ikeda et al., 2019). Nous précisons qu’il s’agit d’un tuteur mâle car pour les zebra finches, ou Diamants mandarins, les femelles n’ont pas les prédispositions anatomiques requises pour chanter. Ainsi, durant la phase de mémorisation, le jeune oiseau doit mémoriser la structure du chant de son tuteur (elle lui servira de modèle dans la production de son chant). De ce fait, cette habileté n’est pas seulement innée ; elle s’acquiert en grande partie par imitation des oiseaux plus âgés par les jeunes. La phase de mémorisation est une période critique pour l’acquisition du chant ; si le jeune oiseau n’a pas pu mémoriser des auditory templates, il ne le pourra plus par la suite. Ikeda et al. (2019), à la suite d’une étude de Zhao et al. (2019), proposent de renommer ces auditory templates « behavioural-goal memory », afin de préciser qu’il est question de la mémoire motrice qui guide l’imitation du chant (orientée vers un but) et de ne pas la confondre avec la mémoire seulement perceptuelle, qui serait aspécifique et stockerait toutes les informations perçues.
Au cours de la phase
sensorimotrice, les souvenirs des chants sont utilisés pour la production de
chant par le jeune oiseau : ils sont « traduits » en séquences motrices
qui vont contrôler le syrinx. Cette phase est appelée sensorimotrice car elle
fait référence aux séquences motrices et mobilisations musculaires nécessaires
pour émettre un chant complexe. Ce processus est effectué grâce à un feedback
auditif : quand le juvénile chante, il compare le résultat de son action
(le chant émis) avec le modèle qu’il a en mémoire grâce à la behavioural-goal
memory et calcule ses erreurs. Il est donc capable de corriger sa
production grâce aux modèles de chant mémorisés. Durant cette phase il va
apprendre à reproduire les modèles mémorisés, mobiliser avec précision les
muscles nécessaires, et ensuite cristalliser cet apprentissage sensorimoteur.
Les circuits moteurs seront tellement renforcés, que les chants deviendront
ensuite stéréotypés et ne changeront plus ou très peu durant sa vie (ils seront "cristallisés"), et il aura
reproduit avec une grande précision le chant de son tuteur. La mémorisation est
très importante pour les jeunes afin d’avoir un modèle de comparaison lors de
leurs essais, mais également pour les adultes à la sortie de l’hiver. En effet,
n’ayant pas chanté ou entendu leurs chants de l’hiver, c’est grâce aux modèles
mémorisés qu’ils sont capables de chanter à nouveau les mêmes chants (Brumm
& Hultsch, 2001 ; Margoliash, 2002 ; Marler, 1997). A la manière des jeunes
ils vont « réapprendre » leurs chants en faisant des essais et en les
comparant à leurs représentations neuronales. En résumé ; les vocalises
ainsi que leur perception par le jeune oiseau sont un processus central qui lui
permet de convertir les modèles mémorisés en imitations précises durant
l’apprentissage sensorimoteur (Brainard & Doupe, 2000).
Sur un plan
neurobiologique, les auditory template, ou behavioural-goal memory,
se situeraient, entre autres, dans le NCM (voir Ikeda et al., 2019 pour
une revue détaillée) ; circuit spécialisé dans le cortex
auditif, il permettrait d’encoder les éléments procéduraux du chant du
tuteur
et ainsi une représentation première du chant à imiter. Le HVC (Hyperstriatum Ventral, pars Caudalis ou centre vocal supérieur) serait, quant à lui, nécessaire
pour l’encodage du chant. Le feedback et l'apprentissage (et de manière générale les imitations qui
permettent d’apprendre de nouvelles actions) sont dépendants de plusieurs mécanismes, entre autres des neurones miroirs
(chez les humains comme chez les oiseaux). Chez les oiseaux, ces neurones permettraient un retour précis entre les mouvements effectués
pour produire un son et le résultat de ces mouvements (le chant). Ces neurones
ont été mis en évidence par Keller & Hahnloser (2009) : quand un
oiseau chante la même séquence, les mêmes neurones déchargent de la même façon. Cependant, l’activité de ces neurones semble en lien avec la production plus que
la perception du chant ; ils pourraient établir, par un mécanisme de "mirroring" une correspondance entre
les représentations motrices et sensorielles durant l'apprentissage. Il existe également une théorie chez l’humain
où la perception du langage est en grande partie une perception motrice (Liberman
et al, 1967 ; Liberman et Mattingly, 1985 ; Liberman et Whalen, 2000). L'apprentissage par renforcement se fait également grâce à plusieurs structures qui codent pour les signaux d'erreur de prédiction de la récompense, ce qui permet permet au juvénile de corriger ses erreur quand il ne produit pas le chant attendu. Cela est permis par des signaux dopaminergiques, notamment émis par les ganglions de la base et la projection de l’Aire X sur la VTA (Aire Tegmentale Ventrale) (Gadagkar et al., 2016). Le cervelet faciliterait, lui, l'apprentissage par implémentation erreur (Albus, 1971 ; Raymond et al., 1996). Il détecterait ainsi le mismatch/ mésappariemment entre la prédiction sensitive du sujet et l'actuel feedback sensitif (Doya, 2000 ; Dreher & Grafman, 2002), il contrôlerait également les mouvements. Pour une circuiterie plus détaillée, voir la Figure 2.
Ainsi, si un feedback auditif est
nécessaire, cet apprentissage par imitation indirecte est surtout basé sur les
mécanismes de l’apprentissage sensorimoteur en général ; soit sur les
boucles ganglio-thalamo-corticales et cérébello-thalamo-corticales (Pidoux et
al, 2018). Étant des structures anatomiques bien conservées au cours de l'évolution des vertébrés, l'apprentissage du chant chez l'oiseau-chanteur et l'apprentissage de la langue chez les humains montrent ainsi des similarités, et notamment le fait que les processus fonctionnels mis en jeu durant
l’imitation soient fortement orientés vers les représentations motrices de
l’action à imiter (circuits du cortex prémoteur), et non les représentations
visuelles ou les circuits auditifs de la mémoire des chants. C’est pour cela
que l’imitation est considérée comme un processus embodied (incorporé,
incarné).
Lexique :
Aire X : Aire située au niveau des ganglions de la base qui est impliquée dans l'apprentissage vocal
Av : nucleus Avalanche
CM : Caudal Mesopallidum
DCN : Deep Cerebellar Nuclei
DLM : DorsoLateral nucleus of the anterior thalamus (Medial portion)
HVC : Hyperstriatum Ventral, pars Caudalis : centre vocal supérieur (noyau moteur relatif au chant)
lMAN : Lateral Magnocellular nucleus of the Anterior Nidopallidum
NCM : Nidopallidum CaudoMedial
NIf : Nucleus Interface of the nidopallidum
RA : Robust nucleus of the Archeopallidum
Ov : thalamic nucleus Ovoidalis
Uva : nucleus Uvaeformis
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